Murmures dans les hauts rangs

Au milieu des lumières des candélabres et de la musique mêlant ses notes aux rumeurs des convives qui, assis autour de la tables, emplissaient leur panse tout en devisant à voix haute, Giovanni fut cueilli par la question posée innocemment. C'est madame de Fursalli qui, de sa voix de crécelle, interrogea entre une caille farcie et un flan de pruneaux, le capitaine sur les dernières rumeurs du moment.

« On dit de vous en ville, mon cher Giovanni, fit-elle de ce ton de voix qui trahissait à tout moment d'éclater d'un rire insupportable, que vous auriez déserté le front pour vous occuper de l'enfant que vous seriez sur le point d'avoir avec une mercenaire du Trillium, Valerya Tochinni, c'est cela ? »

Madame de Fursalli était connue pour glousser à la moindre allusion sexuelle et s'enthousiasmait toujours de connaître, avec moult détails, les rumeurs des ébats des uns et des autres. Comme Giovanni s'était tourné vers elle d'un sourire amusé, lui faisant signe de poursuivre jusqu'au bout, plusieurs convives s'étaient arrêtés pour entendre la suite de l'histoire. Et la noble dame de déballer l'ensemble de la rumeur : Les inquiétudes du capitaine Fierempart, nom qui ne manqua pas auprès de la noblesse de provoquer quelques rires, le sortilège jeté par la belle Dulcia da Monti, l'inquiétude de la garde de Trina et enfin l'horrible décision qui imposait à Xian d'accorder l'emprunt inique de vingt millions de pièces d'argent. Lorsqu'elle eu terminé, certains représentants de la ligue marchande, présent au repas raient à gorge déployée ainsi que d'autres nobles et madame de Fursalli, interrogea l'assistance du regard, prenant pour elle les moqueries. Giovanni se pencha vers elle, avec ce sourire tendre qui était le siens, cette façon toujours courtoise et pudique de s'adresser aux gens.

« Rassurez-vous, madame, fit-il pour l'apaiser avec douceur, nul ne rit de vous. Nous rions car personne n'ignore de qui, à l'intérieur des fiers remparts de cette cité, sont issue ces rumeurs de bas étage. »

Il se redressa dans sa chaise pour poursuivre d'un ton calme, à peine marqué par un sourire aimable.

« Voyez-vous ? Les fiers remparts qui de leur immobilité s'élèvent autour de nous pour contempler l'agitation des vivants, étaient là hier, et seront là demain, toujours à se lézarder à la même place qui est la leur. D'aucuns se demandent à quoi ils servent lorsqu'il s'agit pour nous de payer l'impôt afin d'entretenir leurs pierres croulantes. Arrogamment dressés pour protéger la cité, ils n'ont jamais vu un ennemi de l'extérieur et sont incapables à contenir ceux de l'intérieur. On ne voit jamais une seule pierre de ces fiers remparts se déplacer vers le front, ni aucune s'écrouler sur la tête d'un voleur à la tire. Ils ont cette utilité unique de s’enorgueillir à ce qu'on puisse les voir de loin tout en servant d'urinoir à la moitié de la ville. Je ne jetterai jamais une pierre de ma main sur ces fiers remparts. Ils raisonnent de tant d'échos des rumeurs qui, pareilles aux vagues frappant le récif, viennent s'échouer contre leur si haute stature, qu'ils deviennent incapables d'en discerner le vrais du faux. Il faut les en excuser… Et voilà que ces fiers remparts nous donnent leçon d'économie. Une pierre plus une pierre étant égale à deux pierres, les voilà appliquant de l’arithmétique de maçon à la complexité des réalités économiques du monde. Charles Keziah a contracté un emprunt de vingt million de pièces d'argent auprès de la ligue, vous ont soufflé ces fiers remparts, ce qui est problématique pour la ligue. La prochaine fois, madame que vous irez flirter avec les sommets de ces fiers remparts, donnez leur, le souffle court d'être montée si haut, cette réponse comptable. »

Il se tourna vers un capitaine qui était présent pour le questionner.

« Combien a coûté à cette cité l'arrestation de Charle Keziah ?

– Rien, signore, répondit le capitaine en riant. Il a été appréhendé par Serendia sous l'ordre de la République.

– Combien a coûté son transfert ? » Poursuivit Giovanni.

– Il a été pour moitié financé par Serendia qui l'a livré à notre demande à Delphe puis deux cent mille réglé par la maison Di Castelli au titre de la compensation financière de quelques mercenaires.

– Combien a coûté sa détention ? 

– Quelques bols de gruaux, deux cruchons de vin, vingt-quatre bougies et deux couvertures infestées de puces.»

Comme la dame de Fursalli, tentait de suivre devant les chiffres donnés avec une inquiétude peinte sur son visage, Giovanni leva le doigt pour lui intimer d'attendre la suite avec douceur. Il se tourna vers un riche marchand de Xian pour compléter ses questions.

« La ligue de Xian n'a rien déboursé donc et vient de gagner un contrat d'emprunt de Charles Keziah de vingt millions de pièces d'argent net assorti des taux d’intérêts modulables à son gré. Que se passera-t-il si Charles Keziah refuse de payer ? »

Le marchand souriant, prit le temps d'essuyer sa bouche avant de répondre.

« La ligue sera en droit de saisir l'ensemble des biens de monsieur Keziah, comprenant ses avoirs en liquide auprès de la banque Mercuri ainsi que ses commerces serendiens, dont la morgue de Heidel et sa boucherie qui passeront sous contrôle de Calphéon, augmentant le capital de la ligue de Xian au sein de la cité de Heidel. Puis nous saisirons les propriétés de sa famille si elle ne peut s'acquitter à son tour de la dette.

– Et si Charles Keziah accepte de rentrer dans le rang et de payer ?

– Et bien, nous seront en mesure de contrôler durant de nombreuses années les activités de Charles Keziah et de les couler en augmentant nos taux, si il venait un jour à défier à nouveau nos intérêts commerciaux ou au contraire de les baisser dans le cas où il se montrerait bienveillant à l'attention de nos activités et tout cela en gagnant de l'argent. »

Giovanni revint alors à madame de Fursalli en souriant avec cette courtoisie qui était la sienne.

« Vous voyez, madame. La ligue de Xian se porte bien. Et ceux qui, quelques uns, point tous , parviendront à comprendre la différence d'intelligence et d'esprit politique qui existe entre la réponse et la rumeur par laquelle elle existe, comprendront sans mal pourquoi, dans l'éducation qui est la notre, nous préférons laisser ces fiers remparts à l'écart de nos affaires. Ils peuvent se rendormir sereins, ces fier remparts, à l'ombre de leur gloire illusoire et se laisser porter par les rumeurs indolentes de la cité en spéculant sur les coucheries des uns et des autres. L'élite politique, militaire et commerciale de cette cité continue son travail, sous leur tant "glorieuse garde". »